Pukkelpop a débuté comme une fête scoute glorifiée, mais 40 ans plus tard, le festival est devenu un nouveau joyau de la multinationale du divertissement Live Nation. Son histoire a été marquée par l'innovation, tant dans sa programmation que dans sa structure organisationnelle.
Au début des années 1980, l'association de jeunes limbourgeoise Jeunesse Humaniste (Hajee) cherchait une source de revenus. Ils la trouvaient dans les fêtes, mais une visite à Rock Werchter les a fait rêver. « Sur le chemin du retour, on se disait déjà : on devrait pouvoir faire ça aussi », se souvient récemment un membre de l'équipe des débuts dans Het Belang Van Limburg. Le 21 juillet 1985, c'est enfin chose faite : 2 500 visiteurs ont déboursé 300 francs (7,5 euros) pour sept groupes, dont les groupes new wave Front 242 et Anne Clark.
Chokri Mahassine, 25 ans, est à l'origine de ce projet, soutenu par son épouse Marie-Martine Peremans, Patrick Breugelmans et Christiane Sluyter. Ils ont fait de leur petite association à but non lucratif l'un des plus grands festivals de musique du pays, attirant 66 000 visiteurs en quatre jours l'été dernier. Même après le rachat du festival par le géant du divertissement Live Nation, ils restent fidèles à l'organisation. Leur siège social restera là où tout a commencé, au-dessus du centre de jeunesse De Pukkel à Bourg-Léopold.
Le soutien de Schueremans
L'acquisition par Live Nation n'a pas surpris l'industrie musicale : cette société jouait depuis longtemps un rôle important dans Pukkelpop. La collaboration avec le fondateur de Rock Werchter, Herman Schueremans, remonte même à ses débuts, a confié Mahassine à De Morgen en 2020.
Il nous a proposé des groupes plus importants par l'intermédiaire de son agence de réservation de l'époque et a recommandé de décaler la date à fin août, lorsque le Reading Festival se déroulait au Royaume-Uni. Cependant, le match de football devait se dérouler fin août sur le site même où le Pukkelpop avait débuté. Cela a d'abord conduit à un déménagement vers le domaine militaire de Hechtel, puis, en 1991, vers le site actuel de Kiewit.
Lors de cette édition de 1991, Pukkelpop fut le premier festival belge à programmer Nirvana, un mois avant la sortie de l'album Nevermind. Certes, il s'agissait de remplaçants de dernière minute pour The Limbomaniacs. Mais les programmateurs de Pukkelpop étaient parfois en avance sur leur temps. Au milieu des années 90, ils avaient osé accueillir des artistes dance comme Underworld et The Chemical Brothers sur la scène principale. En 2019, ils avaient si vite programmé Billie Eilish que la star mondiale était déjà sur scène à midi. Et cet été, ils furent les premiers à accueillir Chappell Roan en Belgique. Cela donna à Pukkelpop l'image de loin la plus « jeune » des grands festivals belges, ce qui fit des merveilles pour les ventes de billets. Malgré un prix combiné qui a augmenté de 69 % entre 2013 et 2024 pour atteindre 282 euros, tous les billets ont été vendus en cinq heures cet été.
La tempête et la pandémie
En 2011, une violente tempête s'est abattue sur le terrain dès le premier jour du festival. Cinq visiteurs sont morts. Le reste du festival a été annulé. L'absence d'assurance annulation a également entraîné un revers financier. Mahassine a appelé ses « Pukkelpoppers » à accepter une offrande de bons de boissons pour les trois prochaines éditions. Quelque 80 000 visiteurs ont accepté. « Si tout le monde avait demandé le remboursement, tout aurait été fini », a commenté Mahassine plus tard.
Neuf ans plus tard, une autre catastrophe allait entraîner des pertes de plus d'un million d'euros : la crise du coronavirus, qui a entraîné l'annulation de deux éditions. La situation financière précaire d'un festival privé de soutiens plus importants est devenue évidente : les recettes de Pukkelpop ont chuté à la somme négligeable de 73 000 euros, tandis que Rock Werchter, soutenu par Live Nation, générait encore plus de 7 millions d'euros par an.
De l'organisation à but non lucratif aux dividendes
Pukkelpop a débuté comme une modeste association à but non lucratif. La Fabrique est devenue le nom de l'organisation sous-jacente. Mais avec l'augmentation du nombre de visiteurs, le chiffre d'affaires, les bénéfices et la demande de professionnalisation ont également augmenté. En 2015, l'association est devenue une coopérative, puis une société à responsabilité limitée, avec Play More Music, Patrick Productions (25 % chacun) et Que Pasa (50 %) comme actionnaires. Derrière ces sociétés se trouvent Sluyter, Breugelmans et le couple Mahassine-Peremans, désormais rejoints par leur fille. Ce sont ces cinq propriétaires qui empocheront les bénéfices de la vente de Pukkelpop à Live Nation.
La Factory ne distribue pas ses bénéfices directement à ses propriétaires, mais verse des honoraires pour ses services de gestion et de conseil. Elle conserve néanmoins 6,8 millions d'euros de réserve pour des projets sociaux ; son passé associatif n'a donc pas totalement disparu. Les sociétés propriétaires distribuent des dividendes à leurs propriétaires. L'année dernière, Que Pasa, propriété des Mahassine, a versé 319 301 euros. La transformation d'une organisation à but non lucratif en une organisation versant des dividendes substantiels à ses propriétaires n'a pas été sans difficultés. Le socialiste Mahassine a dû expliquer à plusieurs reprises dans la presse pourquoi il avait droit à une part importante des bénéfices de Pukkelpop.
L'avenir sous les ailes de Live Nation
Quarante ans après sa création, l'idiosyncratique Pukkelpop fait désormais partie d'une entreprise internationale qui non seulement organise des festivals et des concerts, mais gère également des salles, programme des artistes et gère un service de billetterie. Cette intégration poussée soulève des questions : aux États-Unis, Live Nation est depuis longtemps critiqué pour son monopole, et suite au rachat de Pukkelpop, le ministre fédéral de l'Économie, David Clarinval (MR), demande également une enquête de l'Autorité belge de la concurrence.
Il sera intéressant de voir dans quelle mesure Pukkelpop peut encore tracer sa propre voie. Les jeunes groupes non signés chez Live Nation auront-ils encore facilement accès à la programmation ? Et si une entente sur les prix se concluait avec Rock Werchter, entraînant des billets plus chers ? Et Pukkelpop pourra-t-il encore organiser librement une campagne d'aide humanitaire pour Gaza, comme le festival l'a fait cet été ? La décision finale sur tout cela reviendra désormais aux États-Unis, avec une société cotée en bourse qui souhaite maximiser ses profits. Tant que tout se passe bien, cela n'aura que peu d'impact sur Pukkelpop comme c'est le cas actuellement. La question est de savoir si cela restera le cas si la situation se dégrade.